RÉUSSIR UN MARATHON AVEC UN SEUL ENTRAÎNEMENT PAR SEMAINE ?
J’ai longtemps réfléchi avant de partager cette expérience de marathon tant la façon de considérer cette course a été en marge de la « tradition ».
Il est difficile de tenir un discours en décalage complet avec ce qui semble être une évidence pour le plus grand nombre. Le mythe du marathon entretient des fantasmes mais la réalité est parfois bien différente. Si on essaie d’être le plus honnête possible, on observe aisément que le taux de réussite de l’objectif est très faible par rapport à une « vérité de préparation » acceptée du plus grand nombre. Existerait-il d’autres façons de faire ?
Le marathon, c’est bien connu, nécessite cinq entraînements par semaine pendant 10 semaines avec deux séances de VMA, une courte et une longue, ainsi qu’un semi marathon à l’allure marathon quinze jours avant l’objectif. Évident n’est-ce pas ?
Mais qu’est-ce qui a bien pu me passer par la tête quand j’ai décidé de ne m’entraîner qu’une seule fois par semaine ? Un brin de folie ou un éclair d’intuition ?
Arpenter son propre chemin est un véritable challenge. Être à l’écoute de ce que l’on ressent comme bien pour soi semble être une évidence. Dès lors, quelle évidence faut-il écouter ? La sienne ou celle des autres ?
Cette évidence des autres peut sembler nécessaire au début, afin de se forger une base « scientifique ». Mais elle est aussi une croyance limitante au vu de l’aspect clinique de la course à pied et du sport en général. Il existe bien une base globale commune mais il existe également des appropriations individuelles liées à chacun.
A quel moment l’équilibre se rompt ?
A partir du moment où l’on fait une confiance aveugle en un process qui ne nous correspond pas.
Lorsque je me suis lancé dans cette préparation de course, je n’avais qu’un seul mot d’ordre : partager du temps avec un pote autour du « défi marathon ». L’objectif de temps était secondaire. On avait tout de même fixé un chrono arbitraire à moins de 2h50 au vu de nos qualités pédestres. En effet, avec un record à 31’21 au 10km, même si le record datait de mars 2007, cela semblait réalisable pour réussir le 24 novembre 2013 à La Rochelle mon premier marathon.
Quels éléments ai-je mis dans la balance à ce moment là ?
- Je savais que ma motivation était tournée vers les autres (à l’époque, entraîneur triathlon en charge d’un projet jeune passionnant) et que je n’arriverais pas à me mobiliser pour un objectif personnel.
- Je savais aussi que même dans les meilleures conditions, je n’arriverais pas à courir plus de trois fois par semaine sans me lasser. Un sentiment de lassitude qui entraînerait une culpabilité de ne pas respecter le programme établi.
- Je savais qu’en tant qu’entraîneur, je faisais environ 30’ d’activité physique par jour, tous les jours de la semaine. Déplacements à vélo (2x 3km avec côte à 8% sur 400m) et encadrement des séances (20’ à 8km/h le mardi soir, 1h de vélo à 28km/h le mercredi et 25’ à 9km/h le jeudi soir).
- Je savais qu’il fallait limiter les sorties longues sur bitume (2h) car elles sont traumatisantes et sont sources de blessures.
- Je savais que ma technique de course, très sollicitante pour les mollets (soléaires), ne me permettrait pas de rejoindre l’arrivée en conservant mon allure.
J’ai essayé d’aborder ma réalité avec le plus d’honnêteté possible. Fort de tous ces éléments, voici les choix que j’ai opérés :
- M’entraîner une seule fois par semaine pendant 10 semaines pour conserver ma motivation et le maintien d’un enthousiasme que je pense essentiel.
- Courir le dimanche matin, jour de l’épreuve pour me préparer aux sensations liées au rythme de la semaine.
- Faire un « footing » de 2h sur la route à partir de la 3e semaine (1h la première semaine, 1h30 la deuxième), soit 6 sorties de 2h jusqu’à 15 jours de l’épreuve
- moyenne des « footings » : 14km/h soit environ 4’10/4’15 au kilo.
- J-15, préfatigue d’une heure à 14km/h suivi de 10×1000 en 3’40 R1’20.
- Modifier ma foulée pour attaquer davantage avec le talon dans le prolongement d’un alignement vertical bassin/cheville.
J’ai basé ce postulat sur plusieurs éléments :
- J’avais une semaine complète de récupération active avant de reproduire une séance traumatisante.
- Je me concentrais sur le plaisir que j’avais à courir le dimanche matin avec mon partenaire d’entraînement, loin de toute obligation.
- J’estimais que ma vitesse de base était suffisante pour ne pas avoir à faire de rappel de vitesse de type travail VMA.
Autant vous dire que mon choix a été perçu comme déroutant pour le monde de la course à pied locale. Deux réactions m’étaient contées :
- Quel fou ! Courir un marathon avec une seule séance par semaine ! Déraisonnable !
- Quel prétentieux ! Annoncer 2h50 avec un protocole comme celui-ci ! Insensé !
Ce qui m’a questionné dans l’image que je renvoyais, c’était l’absence de volonté de ces personnes à essayer de comprendre pourquoi j’avais fait ces choix, notamment au vu de mes compétences (diplômé d’état, entraîneur reconnu, ancien athlète de haut niveau).
La réponse résulte d’un sentiment désagréable provoqué par ma démarche. Je mettais en porte à faux toutes les représentations que l’on peut se faire autour de la préparation marathon. Ces personnes n’essayaient pas de comprendre parce qu’elles ne voulaient pas comprendre. Ce que j’entreprenais sans rien demander à personne était ridicule pour certains, dangereux pour d’autres. Je suis devenu à ce moment l’objet de messes basses tantôt amusées, tantôt désobligeantes. La nature humaine n’aime pas « sortir de sa zone de confort ». Pourtant, il est ici question de personnes réputées pour faire une force de cette qualité. C’est souvent le cas chez le sportif compétiteur qui affronte le froid, le vent ou la pluie pour aller s’entraîner, aussi bien que le regard intrigué de l’entourage familial ou professionnel.
« Entraînement difficile, guerre facile. »
« On se fait mal maintenant pour avoir moins mal plus tard. »
« Ça va payer ! »
Tous ces leitmotivs sont basés sur une seule donnée : la quantité d’effort fourni. Plus importante elle est, plus forte est la progression. Néanmoins, cette façon de considérer les choses est à repositionner régulièrement de façon légitime sur l’échelle du rendement. Ce rendement, c’est lui la clé de toute progression. Tous les entraîneurs vous le diront. Ne pas en faire trop mais en faire suffisamment en éloignant la blessure, le surentraînement et le maintien de la motivation.
Dans cette préparation, au vu de mon expérience d’athlète et d’entraîneur, j’ai estimé que cet équilibre était le bon. De plus, aucune pression d’échec avec un investissement aussi faible.
Il faut avouer que cela a de quoi séduire.
Ce marathon intervenait en fin de préparation comme une cerise sur le gâteau. Un gâteau composé de 10 semaines (ou plutôt de 10 entraînements) où j’ai pris énormément de plaisir, tant dans la sensation de courir que dans le sentiment de partage. What else !
La veille de la course, je ressens tout de même un léger malaise avant de me coucher. Est-ce bien raisonnable ? Une bouffée de stress que je ressens pour la première fois dans cette préparation. Naturellement, les dés sont jetés et je l’accepte assez facilement. Que se passera-t-il si je ne réussis pas ? Je rentrerai simplement dans le rang de l’évidence des autres m’étant trompé dans ce que je pensais être mon évidence. L’expression « on a le droit de ne pas réussir mais on n’a pas le droit de ne pas essayer » résonne en moi et me réconforte dans ce pari qui semble tout de même un peu fou.
Le matin de la course, je sais que je n’ai pas droit à l’erreur. Je n’ai pas suffisamment de marge de manœuvre pour espérer réussir si je me trompe d’allure. A moi de mettre mon ego de côté sur les premiers kilomètres en étant à l’écoute de mes sensations, avec les bornes kilométriques comme outil de contrôle. Le premier kilomètre est un peu trop rapide, je ralentis dans le deuxième avant de trouver la bonne allure dans le troisième. Ca y est, j’y suis, je ne bouge plus. Je trouve deux compères au cinquième kilomètre (19’14) et nous ferons la course ensemble. Légère survitesse dans les faux plats descendants, légère décélération dans les faux plats montants, j’essaie de conserver un niveau de puissance le plus régulier possible. Le passage au 10km semble rapide (19’28 – 38’42) mais la sensation de facilité paraît acceptable. Passage au vingtième (19’20/19’17 – 38’37) et dans la foulée, un premier semi avalé en 1h21’43.
A ce moment là, je suis dans le timing pour faire 2h50, avec une marge de « craquage » assez importante. Je me refuse de penser à cette éventualité. Je fais l’effort de rester dans ma bulle en me concentrant sur ma puissance au sol, adaptée en fonction du léger dénivelé et de la brise qui souffle sur le port. Je suis clairement dans ma zone.
Le deuxième semi se passe presque comme le premier jusqu’au 30e kilomètre. Les vitesses sont régulières (19’15/19’23 – 38’38). Mes compagnons de course commencent à accélérer jusqu’au 35e (18’58). Je ressens toujours beaucoup d’aisance. A ce moment là, un des deux accélère, l’autre me dit de suivre. Je lui fais confiance et recolle à la foulée de celui qui me précède. Le passage au 40e est toujours dans l’allure (18’59) et c’est le moment que je choisis pour commencer une sorte de sprint de deux kilomètres pour rallier la ligne d’arrivée. Un de mes coéquipiers de club se trouve à quelques mètres devant, justifiant ce regain de motivation pour le rattraper. Je franchis la ligne en 2h42’34 réalisant un deuxième semi en 1h20’51.
Ce résultat peut paraître séduisant. Pourtant, ce n’est pas lui qui m’importe vraiment.
La raison qui m’encourage à partager mon expérience, je vous la livre maintenant.
Après avoir regagné mes pénates, les discours ont changé. Ceux qui étaient amusés deviennent silencieux et ceux qui étaient agressifs leur emboitent le pas. Ce qui était déraisonnable devient aussitôt normal au vu de mon passé et ce qui était insensé amène certains à imaginer des entraînements que j’aurais faits « en cachette ».
La nature humaine est ainsi faite que l’ego prend quasi exclusivement le pas sur certaines capacités comme celle de s’excuser ou bien celle de se remettre en question. Le premier point est socialement problématique, le deuxième davantage individuellement.
Faire réfléchir est ma vocation et cette expérience correspond à une volonté manifeste de faire évoluer les états d’esprit. J’ai l’espoir que la plasticité individuelle puisse amener une plasticité collective. Certains cas ont peut être sombré du côté obscur de la force.
Vous sentez que vous êtes sur la brèche ? Allons un peu plus loin.
Sur l’aspect sportif, mon explication a été décrite dans l’intention mais voici les deux éléments principaux auxquels j’attribue cette réussite :
- L’importance de l’activité physique régulière. Cela permet de limiter les adaptations liées à la mise en mouvement. Nos vies de sédentaires n’intègrent pas cette notion. En effet, si on enlève les entraînements, combien d’entre nous font 30’ d’activité physique journalière ?
- L’importance du plaisir. Chaque vendredi, j’étais pressé d’être au dimanche pour aller courir. Pas une seule fois, je ne me suis forcé à aller m’entraîner, pas une seule fois je n’ai ressenti la frustration de rater ma séance. J’ai respecté ma cohérence globale, me permettant d’arriver le jour du marathon avec le plein d’énergie physique et mentale.
Une attention particulière sur ce deuxième point.
- Chez beaucoup d’athlètes, très souvent, lorsqu’ils ont la sensation de faire des « sacrifices », un soulagement que la préparation se termine peut être ressenti. Alors qu’on devrait être « remonté comme une pendule », ce sentiment peut être vu comme une préparation trop contraignante et qui a déjà entamé les ressources nécessaires pour performer le jour J.
- Il est important de bien lire et de ne pas interpréter mes propos. Je ne dis pas que c’est ce qu’il faut faire pour réussir son marathon, le terme essentiel est « MA cohérence ».
Cette cohérence trouve son équilibre dans la juste place de l’objectif / de la croyance de la souffrance / de l’effort fourni. Tout cela à équilibrer avec la stratégie à adopter. Une stratégie qui ne se trouve pas dans les magazines mais dans une introspection de qui vous êtes. A chacun de trouver la sienne, son juste équilibre.
Comme je le disais aux athlètes que j’entraînais, « je vous donne des outils, à vous de façonner votre séance en fonction de votre forme du jour ». L’œil de l’entraîneur servant à réguler les séances, en fonction de l’énergie dégagée par l’athlète (expertise métaphysique), des structures rythmiques de foulée (expertise physique) et des données d’entraînement (expertise scientifique).
Ce partage n’a surtout pas l’objectif de définir LA meilleure méthode pour s’entraîner (désolé pour le titre un brin racoleur). J’ai tenu à le faire pour interpeler sur les fondements de vos objectifs et les moyens utilisés pour les réaliser. Il s’agit de trouver une juste phase avec ce qu’il est possible d’accomplir, tout en respectant votre équilibre global.
La réalité ne souffre malheureusement d’aucune contestation. Un objectif est atteint ou n’est pas atteint. Objectif de résultat ou objectif de moyens.
Deux tendances s’opposent, celle de l’exception de la réussite et celle de l’exception de l’échec. Dans le premier cas, une réflexion est à engager afin de capitaliser sur ce qui fait de nous des humains : le plaisir du partage et le plaisir de la réussite. En tant qu’amateur, des réussites quotidiennes ne sont-elles pas aussi importantes qu’une hypothétique réussite ultérieure ? Pourquoi d’ailleurs opposer les deux ? Comment pourrions-nous réussir au quotidien en ayant le sentiment d’être nourri, tout en posant les bases d’une réussite future ?
Si vous avez trouvé des résonances dans ce texte, je vous invite à la lecture de mon premier roman afin de prendre en main de nombreuses clés pour devenir plus performant. Osez fixer des objectifs et des moyens adaptés à ce que vous êtes !
Une autre voie existe, saurez-vous considérer votre propre chemin ?
Retrouvez mon roman sur www.florentroy.fr
Arf… Trop court un commentaire pour exprimer mon ressenti de celui qui entraîne aussi les athlètes de manière différente…
😜